une militante de J. Bolsonaro porte un masque à son effigie
En dépit de la situation sanitaire catastrophique, une militante du président brésilien Jair Bolsonaro lui manifeste son soutien lors d'un défilé. Elle porte un masque de protection à son effigie.
(Keystone / Joedson Alves)
Capitaine Coronavirus. Ou encore Trump Tropical. Les deux sobriquets dont le peuple brésilien affuble son président Jair Bolsonaro pourraient être le titre du feuilleton tragi-comique qui se joue actuellement au Brésil. Et les Suisses qui y vivent ne savent plus non plus s’ils doivent en rire ou en pleurer.
On ne peut pas dire que depuis le début de la crise du coronavirus Jair Bolsonaro fasse figure de modèle. Très attentiste dans sa gestion de la pandémie, il a laissé aux gouverneurs des États le soin de prendre des mesures qu’il critique aujourd’hui ouvertement. Entre-temps, il a limogé deux fois son ministre de la santé et celui de la justice a claqué la porte.

Un scénario à l’américaine

À l’instar de Donald Trump aux États-Unis, dont il est un fervent admirateur, le président brésilien a tout d’abord minimiséLien externe la gravité de la crise qui se profilait. La qualifiant à plusieurs reprises de «gripette», il n’avait, à la mi-mars, encore ordonné aucune mesure d’ampleur pour endiguer la propagation virus.
Face à cette inaction, les gouverneurs des différents États qui composent le canevas administratif du Brésil ont pris les devants.
Marcio Folly a 62 ans. Il est Suisso-Brésilien, né à Nova Friburgo, et est professeur d’université en microbiologie vétérinaire dans le nord de l’État de Rio. Ses enfants vivent en Suisse, il s’y rend donc plusieurs fois par année pour leur rendre visite.
(swissinfo.ch)
Dans l’État de Rio, «on voyait déjà début mars les problèmes arriver», indique à swissinfo.ch Marcio Folly, un Suisso-Brésilien qui réside dans le nord de la région. «L’État a donc pris la décision de fermer les commerces, les écoles, les théâtres et les cinémas. Il a aussi imposé le port du masque.» Selon ses informations, sept hôpitaux de campagne ont été construits, mais «le matériel manque. Conséquence: les soignants tombent malades à leur tour et meurent. C’est le serpent qui se mord la queue.»
Ana et André sont tous deux retraités et vivent dans l’État du Minas Gerais. Là aussi, le gouverneur y a rapidement prononcé l’état d’urgence et imposé des mesures similaires, ainsi que le confinement et la distanciation physique. «Je sors très peu, dit Ana, c’est mon compagnon qui se charge d’aller en ville, pour me protéger.» André assène: «Heureusement que certains gouverneurs ont pris des mesures sérieuses, même si elles sont arrivées un peu tard.» Et d’ajouter que «la lutte entre les gouverneurs des États et le gouvernement est la même que celle que l’on observe aux États-Unis.»
Ana (82 ans) et André (74 ans) vivent dans l’État du Minas Gerais (sud-est) depuis 2012, après avoir passé six ans en Argentine. Avant de prendre sa retraite, Ana était gérante sociale dans un EMS à Chêne-Bougeries et André était ingénieur.
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Les faits lui donnent raison puisque, tout comme le président Trump, Jair Bolsonaro remet régulièrement le confinement en cause publiquement et est opposé au gel des activités économiques non essentielles imposé par plusieurs États. «Mardi, il a publié un décret selon lequel les coiffeurs, les salons de beauté et les salles de sports pouvaient reprendre le travail, explique Marcio Folly. Mais les États ont répondu qu’ils ne l’appliqueraient pas. On assiste à une lutte incessante.»

Une crise sanitaire et politique

Au 18 mai, le Brésil recensait officiellement 230'000 cas et franchissait le seuil des 15'000 morts. Mais le pays n’a pas les moyens de tester toute la population, seules les personnes hospitalisées le sont. C’est pourquoi, selon une étudeLien externe publiée le 6 mai par des chercheurs brésiliens, le nombre de cas de contamination s’élèverait en fait à 1,6 million, soit quinze fois plus que les chiffres officiels.
Devant l’ampleur de la crise sanitaire, la désinvolture de Jair Bolsonaro passe mal. Un climat délétère règne au sommet de l’État. Après s’être mis la majorité des gouverneurs à dos, c’est toute la classe politique qui critique les mesures et l’attitude du président. Y compris l’extrême droite.
Pour André, «le gouverneur et le préfet de Rio sont eux aussi d’extrême droite, et au début, ils étaient favorables à Jair Bolsonaro. Aujourd’hui, ils sont en désaccord total avec lui.» Janaina Paschoal, députée régionale de l’État de Sao Paulo et un temps pressentie pour être vice-présidente, a désavoué le président et aurait lancé, selon Le MondeLien externe, «ce monsieur doit quitter la présidence de la République», dénonçant un «crime contre la santé publique.»
Dans ce contexte, le peuple doute également de plus en plus. «Certaines de nos connaissances étaient des inconditionnels de Jair Bolsonaro. Aujourd’hui, même ces personnes ont un avis plus réservé», disent Ana et André. Selon eux, «seuls 35% des Brésiliens, toutes classes confondues, seraient encore favorables au président».
Didier Mittaz (55 ans) et sa femme Lisa ont ouvert une pousada en 2013 à Porto de Pedras dans l’État d’Alagoas (extrême est). Avant cela, ils travaillaient tous deux dans le tourisme en Suisse. Ils rêvaient de monter un projet ensemble afin de joindre l’utile à l’agréable.
(Didier Mittaz)
Didier, un Suisse établi dans le petit État d’Alagoas (extrême est), n’est pas tendre avec la classe politique brésilienne: «Ici, les politiciens sont là pour voler les gens, pas pour gouverner. Après la débâcle du parti travailliste qui n’a absolument rien fait pour le pays (parti des deux présidents précédents Lula Da Silva et Dilma Rousseff), un vent nouveau a paru souffler avec Jair Bolsonaro. Les gens se rendent maintenant compte qu’il n’y a aucune différence.»

L’économie souffre

Le gouvernement a prévu d’injecter 147 milliards de réais (un peu plus de 24 milliards de francs suisses) pour soutenir l’économie, mais Didier «sait qu’en tant qu’indépendant on n’aura aucune aide du gouvernement». Dans sa pousadaLien externe (petit hôtel), il emploie huit personnes. «Elles bénéficient d’une aide sociale de 600 réais par mois, et nous complétons à hauteur de 400.»
«Nous avons la chance de vivre avec peu, n’avons pas de dettes et pourrons tenir entre six et huit mois sans clients. Mais ici les gens n’ont pas d’économies, ils vivent au jour le jour. Et cette mentalité va rapidement poser de gros problèmes.»
André se dit «très préoccupé par la situation à Sao Paulo, où de très nombreuses personnes ont perdu leur emploi.» Il est dubitatif quant au versement de l’aide sociale annoncé par le gouvernement.
Les employées domestiques font notamment les frais de la crise. Le Brésil en compte plus six millions. Si certaines ont pu conserver leur emploi, la plupart ont été licenciées du jour au lendemain. Ces emplois précaires sont souvent occupés par des mères célibataires ou des habitantes des favelas. Elles doivent désormais faire face à la pauvreté et au risque accru de contamination. «Dans les favelas, les gens vivent les uns sur les autres dans une grande pauvreté. De plus, les Brésiliens sont très tactiles, ce qui n’arrange rien», croit savoir Marcio Folly.
>> Regarder le reportage de la RTS sur la situation dans les favelas:

RTS favelas

favelas

Pas de répit pour la forêt amazonienne

Ce professeur d’université en microbiologie ajoute: «Pour la forêt tropicale et les peuples indigènes, cette crise est une catastrophe.» Selon le système d’alerte satellitaire de l’Institut national de recherche spatiale du Brésil (INPE), la déforestation aurait augmenté de 30% en mars 2020 par rapport au même mois de l’année précédente.
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Depuis le début de la pandémie, la police environnementale a réduit ses patrouilles au strict minimum. Officiellement, ce serait dans le but de protéger ses agents. Pour les ONG, il s’agirait plutôt d’une manœuvre du gouvernement climatosceptique brésilien pour faciliter l’exploitation de la forêt.
À Manaus, capitale de l’État d’Amazonas (extrême nord-ouest), le maire, en larmes, a lancé un appel désespéré à Greta Thunberg: «Nous avons besoin d’aide. Il faut sauver les vies des protecteurs de la forêt, les sauver du coronavirus». «Dans ces zones reculées, les services de santé sont complètement débordés et la maladie est une menace immense pour les indigènes», s’inquiète Marcio Folly.
>> Voir Lien externeaussi l'appel du photographe brésilien Sebastião Salgado pour la sauvegarde des peuples indigènes

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